Anne Bragance

D'ordinaire, ce genre de roman n'est pas trop mon genre. C'est intimiste, psychologique et tourne bien souvent à l'histoire de fesse sordide sur fond d'échangisme, de tromperies, d'amours déçus. Est-ce donc un côté voyeuriste aigu qui m'a effleuré lorsque j'ai vu cette histoire de prostituée qui devient amie avec un homme qui n'est même pas un client? Non, je ne pense pas. Ce qui m'a intrigué est justement cette affaire de non consommation de la prestation tarifée. J'ai donc pris ce livre et je n'ai pas été déçu car il parle à plusieurs voix. D'abord celle de François, cet agent immobilier en panne de couple, en panne de vie, dans l'impasse qui n'est pas juste celle de l'adresse de la maison qu'il doit visiter. Ensuite celle d'Emma, cette prostituée si étrange dont le passé refait surface brutalement, dont les relations familiales sont hantées par un don à l'autre trop souvent réfréné, et qui trouve sa vengeance dans ce commerce du corps. Enfin, Bénédicte, l'âme sœur d'Emma, dont le seul couple qui marche est celui qu'elle forme avec sa maladie, cette sclérose en plaque qui la replie sur elle-même.

Ce livre est court mais très bien construit avec ces trois regards qui s'entrecroisent mais qui finissent sur une histoire d'amitié retrouvée, sur une renaissance lumineuse éclairée des lumières océanes. L'écriture d'Anne Bragance est un plaisir pour les yeux. Aucune vulgarité, aucune facilité, aucun dialogue gratuit. Tout est clair, net, précis, dans des phrases passées au polissoir. L'écrivain connaît son métier, mais l'excellente maison du "mercure de France" aussi. C'est un livre très agréable à lire et le seul reproche que je lui ferais serait simplement de montrer une face trop "rose" de la prostitution dont on sait la réalité sordide. Mis à part cette facilité qui permet de poser l'action, ce roman est très bien.… (mais)