André Niel

> PREFACE DE L'AUTEUR. — Voici bientôt dix ans que j'eus la surprise de découvrir, tout à fait par hasard, l'expression traduite de la pensée de Krishnamurti. Je m'étonnai tout de suite du rapport de ses textes avec mes propres préoccupations. J’avais alors, en effet, entrepris et déjà fort avancé un ouvrage personnel où, me détachant de tout ce que j'avais appris, j'essayais de me former de l'existence une conception entièrement débarrassée des contradictions dont toute philosophie est coutumière. Et voici pue les lignes que je découvrais m'apprenaient qu'une telle libre réflexion avait chez un penseur ignoré du grand public, parfaitement abouti !
Je dus, toutefois, poursuivre mon effort personnel, comme si mon état antérieur de solitude n'avait subi aucun changement. J’étais d'ailleurs engagé dans une voie de recherches logiques, dans une série d'efforts involontaires d'analyse oui n'avaient aucun rapport avec la méthode d'exposition propre à Krishnamurti. Cependant en vins-je peu à peu — la lecture de ses Conférences continuant de faire naître en moi le même sentiment de résonance profonde — à me former de sa pensée une image telle que, présentée sous cette apparence, eût quelque chance de s'y intéresser davantage tout un public qu'elle ne touchait pas encore. C’est l’origine des textes ici réunis, et oui sont comme les premiers résultats d'une entreprise qui ne peut être que de longue haleine.
Les circonstances ont amené jusqu'ici Krishnamurti à user du procédé de la conférence et du langage spontané.
Ce procédé a de grands avantages : ainsi la pensée librement créative — je veux dire libérée du souci négatif, de l’angoisse du non-être — évite-t-elle plus facilement l'écueil dangereux dune systématisation stérilisante. Il n’est pourtant pas à croire que les voies d’une exposition rationnelle soient à jamais interdites à une telle pensée. On ne peut pas empêcher, en effet, que des esprits logiques par tempérament ne soient, par ailleurs, capables de se libérer du sentiment intérieur de la contradiction du Moi et du Non-Moi, de sorte que, dans le cadre de la « nouvelle culture » annoncée par Krishnamurti, il y aura certainement placé pour de véritables constructions philosophiques : il suffira que celles-ci soient animées par le sentiment profond de la non-contradiction de tout ce qui est. Non pas qu’il soit ici question d'affirmer la prévalence de quelque méthode particulière d'expression ! Ainsi la lecture des textes de Krishnamurti, où plan et terminologie sont abandonnés à l'intuition spontanée, sera-t-elle toujours un réel délassement pour tout autre chercheur qui, par des voies plus rigoureuses, s’efforcera cependant d'atteindre au même objectif, c'est-à-dire à la claire expression de la condition intime non-contradictoire.
Nous avons, cependant, formé l'idée d'un plus vaste travail où serait présenté l'ensemble des thèmes proprement krishamurtiens de la pensée unifiée dune manière suffisamment rationnelle pour que puissent enfin entrevoir leur sens profond toute une catégorie d'esprits très exigeants, parce que formés aux méthodes occidentales de la réflexion critique. Mais un tel travail ne pouvait être entrepris qu’une première tentative n’ait au moins réussi à susciter dans ce même public une attention favorable à l'égard des solutions proposées par Krishnamurti à quelques uns de nos plus graves problèmes. C’est la justification finale de ce livre que de tenter d'éclairer sous une certaine lumière — plus sensible à certains yeux — l’essentiel contenu de ces solutions.… (mais)