PORTRAIT DE DIEU LUI-MÊME. — Dieu se raconte-t-il" Quels sentiments, à défaut de visage, lui prêter" Bien que de toute éternité son histoire ne commence qu'avec la Création, son "oeuvre maîtresse et unique au sein de laquelle l'homme se taille la meilleure part.
Dieu se raconte-t-il? Quels sentiments, à défaut de visage, lui prêter? Bien que de toute éternité son histoire ne commence qu'avec la Création, son oeuvre maîtresse et unique au sein de laquelle l'homme se taille la meilleure part. D'ailleurs, c'est par rapport à lui, conçu à sa ressemblance, dit la Genèse, que se forge son destin. Sans l'homme, Dieu s'abandonnerait à un ennui sans fin.
Contrairement aux panthéons antiques où l'on se bousculait, il n'a pas à se mêler à d'autres dieux ou déesses avec lesquels il nouerait des affaires sordides et compliquées. La grandeur du monothéisme tient à ce splendide isolement qui se renforce dans son face-à-face avec une créature qu'il a façonnée de ses mains et de son souffle mais qui lui échappe, pour son plus grand malheur, sans délai.
C'est donc le portrait de ce personnage - encore que le mot, à la limite du blasphème, soit ontologiquement inexact - que Jack Miles, un ancien jésuite qui a gardé une foi intacte, s'est attaché à dresser en relisant pour nous l'Ancien Testament ou plutôt le Tanakh, la Bible hébraïque. Entre le Pentateuque et les textes des prophètes, entre le Cantique des Cantiques et l'Ecclésiaste, Dieu se révèle tel qu'en lui-même, c'est-à-dire passablement humain, souvent animé d'une colère que l'on évitera de qualifier de jupitérienne, plus rarement de compassion. On fera la moue et on ne trouvera guère charitable le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.
Jusqu'au bout il cultive une ambiguïté fondamentale. Il parle d'amour mais ressent-il de la souffrance aux tourments de Job, de la joie à la délivrance du peuple juif? Là-dessus les Ecritures font silence. Et si l'homme ne le satisfait pas pleinement, pourquoi ne le change-t-il pas du tout au tout? A croire qu'il s'accommode de cette imperfection consubstantielle à la nature humaine. Au fait, ne l'aurait-il pas voulue? Et la morale dans tout ça?
Jack Miles n'en finit pas d'interroger Dieu au travers de sa Création. Il le fait avec un mélange d'ironie et de profondeur, de distance et d'acuité qui laisse songeur. Toujours est-il que cette biographie a ceci de rassurant qu'elle nous en apprend encore beaucoup sur un Etre aussi peu romanesque qu'il est possible mais dont un roman n'épuiserait pas l'infini mystère.