Pierre Puchot

Une très bonne synthèse sur la révolution tunisienne. L'auteur propose une reconstitution du départ de Ben Ali, une tragi-comédie selon lui, qui invalide la thèse du rôle de l'armée et du général Ammar et met en avant une initiative individuelle d'un militaire agissant de son propre chef et réussissant à faire partir le Président. Par la suite le livre montre comment les gouvernements de transition successifs jusqu'aux élections, malgré les demandes de la rue, ont agi de sorte à préserver le système en place. Orchestrant une véritable manipulation médiatique visant à instiller la peur dans l'esprit des citoyens pour limiter les demandes de changement radicaux, le groupe au pouvoir a mis en musique une fable institutionnelle, en s'appuyant sur des personnalités issues de l'opposition comme Iyad Ben Achour ou Kamal Jendoubi, qui ont dirigé les institutions de pilotage d'un changement sans rupture brutale. De même, le gouvernement n'a pas réformé les institutions clés de l'ancien régime, en particulier le ministère de l'Intérieur et celui la justice, qui a très peu inquiété les responsables des crimes commis pendant la révolution mais aussi des délits financiers et économiques antérieurs. Les élections se sont progressivement transformées en une lutte polarisée autour de l'enjeu "identitaire" à savoir la question de la "laïcité", sous l'effet de la compétition entre de nombreux partis sans vue programmatique claire et avec le secours de quelques manipulations médiatiques comme l'affaire Nessma/Persépolis. Le mode de scrutin a finalement nettement favorisé An Nahda, beaucoup plus haut dans les urnes que ce qu'escomptaient les stratèges de la Haute instance.
A partir d'enquêtes menées à Kasserine, une des villes les plus pauvres, l'auteur montre comment la transition s'est effectuée sans le peuple, loin de lui et sans prise en considération des revendications sociales à l'origine de la révolution. Le chapitre sur la faillite du modèle touristique tunisien est très convaincant : écrasement des coûts sous la pression d'une commercialisation toute entière entre les mains des tours operators, avec une mono-orientation sur le tourisme balnéaire estival, des prestations très bas de gamme et en dégradation constante, de la part d'un secteur hôtelier très endetté (et dont beaucoup d'investisseurs choyés à l'époque de Ben Ali ont reçu des prêts sans les rembourser - cf. La force de l'obéissance). A l'inverse, une stratégie gagnante serait une réorientation vers un tourisme culturel, orienté vers les sites de l'intérieur, diversifiant les formes de séjour et d'hébergement, reprenant le contrôle des filières de commercialisation (sur le modèle turc notamment).
A travers le suivi de l'entrée en politique d'une bloggueuse Olfa Riahi, l'auteur montre le rôle des réseaux sociaux dans la révolution mais aussi la manière dont leurs acteurs se sont aussi investis dans la politique de terrain, dans les régions et dans la campagne électorale, non sans déception et amertume.… (mais)